Thème cher et personnel à l’écrivain libanais Amin Maalouf, le retour aux origines est une fois encore au coeur de son dernier livre, Les Désorientés, c’est à dire celui qui a perdu son « ‘orient ». Un récit qui relate le retour d’un historien dans son pays, le « Levant »-pour un Liban jamais nommé- après 30 ans d’absence, suite au coup de fil d’un ancien ami à l’aube de la mort. L’occasion pour le narrateur de revenir sur un chemin depuis longtemps abandonné, comme on ne se prive pas de le lui rappeler plus ou moins subtilement à son arrivée… Car, il y a ceux qui sont restés, qui ont cru à un pays sur la voie de la pacification des appartenances religieuses et politiques, la régulation des clivages sociaux et l’apaisement de la corruption ; et ceux qui y ont renoncé, sans espoir. Adam, lui, est un exilé, ni le premier, ni le dernier qui a profité de ce « lâche privilège de déserteur honnête ». Il témoigne surtout d’une situation devenant de plus en plus commune, au travers d’une double écriture, imitant la position ambiguë du narrateur : celle qui narre le déroulement des événements qu’il vit pendant son séjour, et celle, plus introspective, du roman qu’il est en train d’écrire, l’empreinte d’un temps perdu.
Un étranger parmi les siens
Ecrire apparaît alors comme le moyen ultime de prendre de la distance et d’analyser une situation difficile à éprouver au quotidien. Seize jours pour seize chapitres, la trame tisse le parcours de cet étranger de retour, des retrouvailles heureuses ou incongrues, des clarifications de situations entre les amis d’enfance « Les Byzantins » séparés par le destin, et surtout la réunion de tout un groupe d’âmes liées par leurs souvenirs de jeunesse. En recherchant à retrouver les autres exilés du groupe, Adam se lance dans l’exploration des méandres de sa mémoire, de l’autre côté d’un fossé depuis longtemps creusé entre les traces d’un passé nébuleux et l’illusion d’un présent assumé. Une intrigue qui prend à sa fin une tournure fantastico-tragique qui peut toutefois déranger dans la vraisemblance du roman. Reste qu’Amin Maalouf, récemment nommé académicien, signe une fois encore un livre à la poésie envoûtante avec en toile de fond ce Liban, cette » Suisse » du Moyen-Orient, qui mérite largement que l’on s’y perde le temps d’une lecture.
Par Marie Fouquet
Les Désorientés d’Amin Maalouf chez Grasset, 520 pages, 22 euros