Ciseaux incarne l’histoire d’une écriture en construction. Sans imitation de style ni voyeurisme, Stéphane Michaka nous plonge dans le quotidien du grand écrivain américain Raymond Carver, et sa difficulté de préservation face à un éditeur animé par le besoin de participer activement à l’élaboration de ses textes. Ambition d’un côté, frustration de l’autre, les deux personnages sont suivis à la trace dans leur passion et les déboires qu’elle suscite en eux. Voilà la qualité de ce roman : la fluidité des passages, qui auraient pu être trop tumultueux à la lecture et encombrants à la compréhension mais ici très maitrisés et justement retranscrits.
L’art de l’assemblage
Le découpage de cette biographie fictionnelle sur la vie, l’écriture, les relations professionnelles et amoureuses de Raymond Carver fait entendre la voix des personnages dans une polyphonie peu disciplinée. Les humeurs et les points de vus, les sensibilités de chacun gravitent autour du protagoniste qui, à la fois, puise son inspiration au cœur de cet environnement et en même temps s’épuise à trouver sa place dans une vie où plusieurs partis s’opposent et où l’alcool a trop souvent tendance à s’imposer finalement. La fiction se mêle aux éléments réels qui fondent l’expérience vécue par l’écrivain, si bien que l’on pourrait croire à de véritables témoignages. Les échanges entre Carver et son éditeur Gordon Lish-Douglas dans le roman- sont traduits par des messages souvent indirects (lettres, conversation téléphonique, …) dans un style tout aussi bref et accidenté que peuvent l’être les nouvelles corrigées au scalpel par l’éditeur. Il s’agit ici de rendre compte d’ un contexte de duperie qui participe à la destruction de l’écrivain. Après la parution d’un recueil posthume par sa deuxième femme Tess Gallagher -Joanne, où apparaissent les nouvelles de l’écrivain dans leur intégralité, Stéphane Michaka s’empare des points de vue des acteurs principaux qui firent de la vie de Raymond Carver ce que furent ses nouvelles : réajustées.
Par Marie Fouquet.
Ciseaux de Stéphane Michaka chez Fayard-