Une scène au niveau du sol et au plus près des spectateurs – certains sur les marches : au Théâtre Antoine Vitez d’Ivry, le dépouillement de la salle est au diapason de la mise en scène de Guy Pierre Couleau – de simples panneaux blancs. Il faut dire que ce refus de la stratification sociale habituelle au théâtre ne saurait mieux convenir à Maître Puntilla et son valet Matti, « pièce populaire » que Brecht écrivit pendant son exil finlandais avant de partir pour la Californie. Cette fable décrit les aventures d’un riche propriétaire foncier d’une Finlande de fantaisie, versé dans l’alcool, seul remède à sa cruauté de capitaliste, mais qui le fait sombrer dans l’inconséquence comme le met en garde son serviteur Matti.
Caricatures bien réelles
Ces revirements d’humeur en un prologue, huit tableaux et un épilogue, sont scandés par les couplets de Maître Puntilla, seuls rescapés en allemand de la traduction de Michel Cadot. Cela rythme les trois heures du spectacle – sans entracte – tout en jouant de la distanciation si chère au génial dramaturge allemand. On sait bien l’artifice du théâtre. Et pourtant, lorsque Matti à la fin de la pièce veut tester l’obéissance d’Eva pour savoir si elle serait une bonne épouse, la fille de Puntilla promise à un diplomate snob et ridicule, cette caricature plus vraie que nature laisse transparaître l’effroyable capacité de soumission de l’homme. Le faux est parfois l’ami de la pensée, ce que confirme cette production venue de Colmar et passant pour deux mois à Ivry avant de poursuivre sa tournée en France. Et tant pis pour les fessiers, le théâtre n’est pas un confortable sédatif pour la bourgeoisie. Le public nombreux et chaleureux l’a bien compris – mais cela suffira-t-il à changer le monde…
GC
Maître Puntilla et son valet Matti, au Théâtre Antoine Vitez d’Ivry, jusqu’au 3 février 2012