Créé en 2005 à l’initiative de Marie-Pierre Bonniol, co-programmatrice de l’événement avec Jean-Sébastien Nicolet, le festival BBmix de Boulogne-Billancourt a pour but de mettre en lumière des artistes oubliés ou méconnus. En marge des grandes ondes, la musique qu’il était donné d’entendre ce week-end dans le cadre flambant neuf du Carré Belle-feuille attire un public éclectique, ouvert et exigeant qui n’hésite pas à traverser le périphérique ou à venir de plus loin pour étancher sa soif de découvertes. La liste non-exhaustive des artistes programmés pour cette 8ème édition et une description sommaire de leur musique suffiront à démontrer l’originalité de cette manifestation : le vendredi, le groupe Spain s’est produit, prolongeant ainsi la lignée des groupes des 90’s qui se reforment pour un come-back plus ou moins glorieux. Menés par Josh Haden, fils du légendaire jazzman Charlie Haden, la formation californienne (comme son nom ne l’indique pas), dont le premier album The Blue Moods of Spain de 1995 est devenu une des références du genre, a ravi les nostalgiques de leur folk lente et rêveuse. Le même jour, Stephan Lakatos et Dominic Ponty ont réinterprété Moondog. Figure emblématique de la marginalité artistique, ce New-yorkais mi-SDF mi-viking est l’auteur d’une œuvre encensée par des musiciens de toutes les tendances : de la musique classique la plus pointue jusqu’à la scène rock internationale, en passant par le jazz et l’electro, chacun reconnaît l’inventivité de l’œuvre protéiforme du regretté Moondog. L’événement du samedi était la performance de Ty Segall, jeune californien fertile, dont l’album Melted, sorti en 2010, a suscité chez les critiques une débauche de qualificatifs précédés du terme « post » : post-garage, post-surf, post-psyché, post-lo-fi… Disons pour simplifier que sa musique est post-quelque chose et qu’elle se caractérise par une énergie débordante et contagieuse. Enfin, la journée la plus excitante était sans doute celle de dimanche, marquée par la volonté de donner une visibilité, pédagogique et spectaculaire, à ce courant musical obscur qu’est le « krautrock ».
Beak, un oiseau rare et discret
La promesse de ce dernier jour était double : d’abord, une sorte d’introduction au krautrock était prévue à 17h, à travers la rencontre/débat autour de Irmin Schmidt du groupe Can, présentée par Pascal Bussy, auteur d’un livre sur ce groupe historique. Pour le définir en quelques mots, krautrock est l’expression anglaise qui désigne le rock progressif allemand né à la fin des années 60 et dont les représentants les plus célèbres (Tangerine Dream, Can, Amon Düül, Neu !, Kraftwerk) se sont fait connaître dans les années 70. Le son Krautrock, littéralement « rock du chou » ou « rock choucroute » est le produit, d’une part, de l’exploitation des technologies de pointe qui donnèrent naissance aux premiers synthétiseurs et à la musique électronique et, d’autre part, de l’influence de la musique minimale et répétitive (Steve Reich, Philippe Glass). C’est aussi une musique expérimentale et contemplative qui forme une alternative efficace au rock anglo-saxon où le blues et la country dominent. Le festival a eu la chance et le privilège d’accueillir en la personne d’Irmin Schmidt, l’un des membres fondateurs de ce style. Can en est une figure incontournable. Leur musique exerce une forte influence sur la scène rock indépendante actuelle, notamment sur le groupe qui constitue la deuxième promesse de cette journée. Beak, formation parallèle de Geoff Barrow, la tête pensante de Portishead, s’est fait remarqué, par la presse et le public par sa musique aux boucles entêtantes, dépouillée comme un os décharné, fantomatique et bruitiste. Après une prestation décevante de Lumerians (annoncé comme étant un spectacle déjanté, avec costumes et danses décalées, le concert de ces américains paru très ordinaire, voire un peu ennuyeux), le trio gallois a su envoûter son auditoire par ses pulsations hypnotiques. Barrow, à la batterie, développe un jeu sans artifice, fait entendre son goût pour le hip-hop, issu qu’il est de la tradition du sample. Parfois trop couvert par les dissonances saturées des claviers, la base rythmique du son de Beak est ce qui produit cet effet de transe recherchés par les tenants de la musique répétitive. Appuyé par des kilos de réverbérations sur la voix détimbrée de Barrow, leur musique est souvent austère, froide, cérébrale. Ce dimanche, ils étaient en France pour la deuxième et dernière de cette année, preuve qu’avec sa programmation décalée, ce BBmix mérite sa réputation de festival différent.