Fabrice Gaignault officie comme rédacteur en chef culture dans un magazine féminin. Pas vraiment le lieu idéal pour exercer son écriture belle et ample avec ce soin si particulier pour trouver le mot juste que devrait avoir tout journaliste se respectant… En revanche, le lieu idoine pour observer ces « happy few », même s’ils sont dans son dernier livre, l’ Eau noire, nettement plus « few » que « happy »…Tout commence avec une histoire d’ amour de deux êtres défaits et donc incapables de s’ aimer calmement. Au fil de leurs ruptures, l’ auteur nous décrit le lien indéfectible et destructeur qui les unit au point de les mener quinze jours durant sur un yacht, l’occasion de se mesurer, sur quarante mètres de long, l’ un à l’autre ainsi qu’ aux autres invités. Un lieu clos sous la domination de Brimo, homme riche appartenant « au petit club du sperme chanceux par ses parents » et qui exige en retour que tous lui obéissent. Et c’est avec un talent certain pour décrire l’ ennui qui nait de l’ oisiveté et de la confusion des sentiments amoureux que l’auteur, avec sa plume tel un scalpel, descend au fil des pages, bien profond. Son Eau noire est âpre et mérite de s’ y attarder comme une fontaine au goût salé à l’image de cette mer qui va tantôt charrier des cadavres, tantôt d’autres riches en mal de sensations. Car si le thème principal est l’amour déliquescent, c’est tout un milieu « people » que l’auteur décrit, celui des actrices « has been » dont « le double de papier glacé a trente cinq ans pour l’éternité » et qui se piquent d’humanitaire, des top models russes à la plastique parfaite qui leur permettent « de gagner leur jeton de présence au paradis terrestre » ou de vieux homosexuels méchants comme des hyènes. Tout ce joli monde est embarqué pour boire des Bellini au soleil couchant dans des décors « qui suggèrent la rencontre téméraire entre le Roi-Soleil et Puff Daddy ». L’alcool créera le premier drame, comme bien souvent chez les oisifs. Viendra ensuite l’autre, plus radical, de quoi donner un sens à cette croisière et consoler tous ceux qui pensent en voyant ces temples luxueux à quai qu’ils ratent quelque chose…
LM
L’Eau noire de Fabrice Gaignault aux Editions Stock-20 euros