« Avenue Bourguiba,
Sur tes trottoirs, sur ton allée de charme, s’étalent des fils barbelés,
et sous tes arbres verts, des soldats en armes et des policiers cagoulés,
J’aimerais assister à ton nouveau baptême !
Ce 23 octobre, ma bien aimée.
Et revoir le cheval et le combattant suprême, de retour a leur place parfumée !
A suivre… »
Ce texte d’un inconnu, Sala Bitri, publié par la presse locale fait rêver Tunis. Sur la célèbre avenue Bourguiba où s’est jouée la Révolution du 14 janvier 2011, il y a encore des barbelés et quelques blindés devant le Ministère de l’Intérieur. On n’approche plus du bâtiment depuis neuf mois. Des soldats patrouillent aussi la nuit dans la Medina. Les contrôles routiers sont nombreux à l‘entrée de la capitale. Sécurité oblige. Et si les hommes de l’ancien régime revenaient ? Si des ultras voulaient perturber le vote de ce 23 octobre ? Tunis est inquiète. « Il y a toujours des Ben Ali » m’assure une habitante avec conviction. Pourtant, sur cette belle avenue, la démocratie a pris ses quartiers libres. On distribue des tracts, on appelle à voter, on discute avec passion aux terrasses des cafés bondés. Voter ? «C’est la première fois, ça fait plaisir ! » Les tunisiens vont massivement user de ce droit nouveau. Tout en exerçant leurs talents de poètes.
Autre style, pour rire, sur un tableau exposé dans une galerie, représentant une urne. « C’est ma première fois, donc fais attention avant de me pénétrer ! … » Le vrai slogan qui s’étale à la Une des quotidiens, le voici: « Je vote donc je suis ! » Et pour se moquer du fuyard Ben Ali « Je n’ai plus peur ! », ou encore « N’écoutez pas les mauvais conseils du dictateur exilé, ne votez pas je m’occupe de vous ! »
Ben Ali est revenu?
Il y a quelques jours, à Tunis, au petit matin, les habitants du quartier de la Goulette ont eu la frayeur de leur vie. En se réveillant, ils ont découvert un immense portrait de Ben Ali accroché sur une façade. « Il est revenu ? »… Après la stupeur, un petit groupe s’est mis à déchirer l’affiche. Et les passants ont découvert un autre poster géant appelant à voter le 23 octobre!
C’était une « opération de com » montée avec une agence démocrate. Pas si drôle que ça, en fait, pour beaucoup de ceux qui se méfient encore de l’avenir. Printemps arabe ou automne islamiste ? « Les élections, c’est formidable, mais j’ai peur d’une victoire du parti islamiste Ennahadha (Renaissance), me confie Kamel, étudiant. On ne va pas les laisser nous voler notre révolution! »
Neuf mois après la fuite du dictateur, le 14 janvier dernier, l’espoir se mêle donc à l’inquiétude. Les diatribes du leader islamiste Rached Gannouchi ont jeté un froid « si nous n’obtenons pas 50% des voix, a-t-il lâché, le peuple est capable de faire tomber dix gouvernements… » Une menace qui fait peur aux modernistes tunisiens. Elle est rejetée par les islamistes qui regardent plutôt vers la Turquie d’Erdogan. « Le Tunisien est attaché à sa religion, mais dans la modernité », affirme Rached Gannouchi. Les islamistes d’Ennahada disent vouloir réconcilier islam et modernité… Illusion ?
La Tunisie, laboratoire des démocraties arabes
« Attention, ce qui est bon pour la Turquie n’est pas forcément bien pour la Tunisie », prévient un prof de Tunis, Mounir Khelifa. « Tout est possible, même un bon score des démocrates, réplique Mohamed. Mais nous ne voulons pas d’une stratégie de la peur conduisant à un front anti-islamiste, ni d’un tête à tête avec le parti Ennahadha… ». Inquiets mais surtout heureux de pouvoir enfer voter, les tunisiens! Leur pays est devenu un « laboratoire des démocraties arabes ». « Il n’y a pas de modèle en vérité, remarque le politologue Fares Mabrouk. On ne sait pas à quoi cela rassemblera la démocratie arabe, on est en train de tester un modèle en Tunisie. » Hamadi Redissi, l’un de meilleurs analystes de Tunis décrypte.« Si les élections tunisiennes sont un succès, d’autres pays pourront aussi devenir des démocraties. Si on échoue à Tunis, cela ne marchera pas non plus, ni en Egypte, ni en Lybie ». C’est là en effet le véritable enjeu pour cette Tunisie balbutiante, le berceau du réveil du monde arabe. En ce dimanche 23 octobre, le pays a fait la moitié du chemin. Le soleil brille sur Tunis. Les voitures klaxonnent ! « Hymne à la démocratie », titre avec emphase le quotidien « Le Temps ». La Tunisie vote librement pour la première fois de son histoire moderne. Sept millions d’électeurs, 11 686 candidats, 1 517 listes présentées par 80 partis et plusieurs dizaines de mouvements «indépendants». Les bureaux de vote sont pleins. Néanmoins, une question vitale que pose Amar, ingénieur qui se demande ce dimanche, alors que chante le Muezzin « Saurons nous accepter la victoire de nos adversaires, quels qu’ils soient ? ». Bonne question en effet. Réponse promise pour lundi soir…