Voilà une exposition photo qui mérite le détour, à la Fondation Henri Cartier-Bresson avec deux regards croisés, celui de l’américain Paul Strand et de Cartier-Bresson lui même, sur un même pays – le Mexique des années 30. Des photos en noir et blanc dévoilant ainsi des blessures encore visibles, d’une population pauvre et paysanne. A l’ère du numérique, il est intéressant de revoir les bases de la photographie, entre la qualité de l’argentique et l’importance du temps de pause. Le détail qui sépare ces deux photographes réside dans la notion du temps. Paul Strand (1890 – 1976) décrit un Mexique rural, fracturé et isolé, par ses portraits d’hommes et de femmes passifs, constamment assis, un chapeau sur la tête ou posé sur le sol, un châle sur les épaules ou sur les cheveux pour les femmes. On y découvre des ruelles vides, les murs qui s’effritent sous le poids des années, des maisons abandonnées, des églises isolées dans un désert où la mort rode, la poussière qui se disperse. La chaleur est si pesante, que seules des statues de Jésus subsistent. La religion est omniprésente, conventionnelle bien sûr et unique remède à la solitude. Il restera deux ans dans ce pays – de 1932 à 1934 – invité par Carlos Chavez, un responsable de la culture au ministère de l’éducation. Pour certaines photos, son temps de pause est de quatre minutes. C’est ce qui diffère de celle de l’illustre Cartier Bresson – on contemple d’ailleurs plus longuement les photographies de ce premier. Le regard de Strand est plus lent, plus sombre, voire ajoute une certaine solitude. Ses photos sont aussi plus construites et mieux choisies, attendant certainement parfois le bon moment pour déclencher son appareil. Il encourage l’émergence d’un moment, figé dans le temps. Le récit d’une histoire, une peinture en somme. Les détails apparaissent si on y prête attention, en regardant de plus près ou en revenant dessus. Cartier Bresson (1908 – 2004) offre, lui, dès le premier coup d’œil une vision plus dynamique et joyeuse du pays, un regard plus humaniste et populaire, des instants volés de femmes et d’enfants qui rient, des personnes en activité, des prostituées en attente, accoudées au rebord d’une fenêtre de bois. Une vie qui continue au rythme de la chaleur mexicaine comme cette femme qui s’endort par terre derrière les étalages d’une boutique ou un homme, allongé dans la rue. C’est en 1934 que Cartier- Bresson découvre le Mexique en accompagnant une mission scientifique, liée à la construction d’une grande route panaméricaine. Il y passe un an, en tombe amoureux. Cartier – Bresson capte un instant volé – un passionné de peinture pourtant – mal cadré, des visages coupés. Cela n’enlève rien à la beauté de la photographie, au contraire. La personne photographiée ne s’en rend pas compte. Une joie émane des personnes prises sur le vif. Il suit au final un instinct réfléchi. L’année suivante, il rencontrera Paul Strand qui l’initie au cinéma. Le voyage de ce dernier au Mexique, suivi d’un second en URSS, l’amène à se consacrer au septième art, revenant seulement à la photographie 10 ans plus tard. « Paul Strand fut l’antithèse d’Henri Cartier-Bresson » écrit John Berger, un romancier anglais. Les deux sont en tous cas parvenus avec le même talent à entrer dans l’intimité des mexicains et de leur culture, comme le montre cette belle exposition orchestrée comme une valse à deux temps.
Par Sylvain Gosset
A voir jusqu’au 22 avril, à la Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris 14e