« Tout me va moi« . Olivier Delacroix est là, dans le café d’Amélie Poulain, rue Lepic. Il est assis face à moi, exactement comme il est à la télé, avec ses dreadlocks, toute en présence, à la fois douce et rassurante. On est souvent étonné entre l’image et l’homme, mais là, nul décalage, pas de triche. L’attachée de presse de France 2 l’accompagne, « pour arriver à le voir , c’est si rare » dit-elle, les yeux brillants. Huit semaines durant, Olivier Delacroix est allé à la rencontre des gens, chez eux pour qu’ils racontent leurs histoires, yeux dans les yeux, sans applaudissements, sans public, sans maquillage, sans projecteurs. Olivier Delacroix, c’est la télévision qui file à l’anglaise, s’échappant des studios, et qui redonne du sens aux paroles des gens, leur offre un moment de partage avec le téléspectateur au point d’avoir devant son écran l’impression de faire partie d’une discussion entre amis. L’espace d’une émission, il sait créer mieux que quiconque une sorte de communion avec celui qui raconte, au point de faire penser à ces curés de campagne qui autrefois prêtaient, sans jugement ni volonté rédemptrice, une oreille attentive à leurs ouailles. Des hommes rares, aujourd’hui disparus. Il aura fallu deux coups du destin pour frapper ce natif d’Évreux qui était parti pour divertir en prime time, acolyte à ses débuts de Christophe Dechavanne sur ces émissions imaginées pour vous faire rire et oublier une journée difficile. Deux évènements qu’il garde pour lui, pour qu’il soit désormais là chaque mercredi sur France 2, résilient parmi les siens.
Comment choisissez-vous les personnes qui apparaissent dans votre émission?
Je les rencontre tout d’abord, pour savoir si on a envie de faire quelque chose ensemble. Il arrive que ça ne passe pas, pour eux ou pour moi. Là, je vais en rencontrer cinquante sur les huit émissions donc il y a une équipe dont le métier est d’enquêter, chercher les meilleurs histoires, en tous cas des histoires qui ne sont pas encore passées et qui sont emblématiques, en dégageant des problématiques différentes. Ensuite, je me déplace pour voir la personne, pour que lorsque l’on va arriver avec l’équipe de tournage, on se connaisse déjà. Je viens de province, alors je pense avoir conservé ce côté accessible, capable de faire tomber la timidité des gens. Je reste deux jours avec chacune des quatre personnes qui témoignent. C’est long; on déjeune ensemble, témoins et équipe, on passe un maximum de temps pour parvenir à cette qualité dans le rapport qui doit s’installer. Et comme ce sont des gens dont la nature est douce…tout se passe bien.
Quel a été le point de départ pour vouloir une émission différente de celles que l’on pouvait voir jusqu’à présent?
Je pense que les gens ont envie de parler de leur vie; tout est ensuite une question de paramètres. Une certaine uniformité s’est installée dans les émissions avec cette idée de faire peur, de montrer une société en crise. Mon idée, c’était de préférer avoir une ambiance plus proche de ce qui se passe autour de cette table que de balancer des images de flics ou de décoration.
Vos histoires sont pourtant souvent inquiétantes d’autant qu’on s’identifie facilement à vos témoins comme dans votre émission sur les personnes « accusées à tort ».
C’est surtout violent ce qui arrive à ces gens et pourtant, il y a quelque chose au final de lumineux chez eux. Ce sont souvent des gens qui ont été puiser des forces incroyables en eux, du coup ça donne la banane à la fin, même si ça fait flipper en même temps. C’est ce que j’essaye de mettre en valeur à contrario de ce que l’on peut vous apprendre dans les écoles de journalisme. Je me souviens que lorsque j’y étais, j’avais décidé qu’il y a des choses que l’on ne me ferait pas faire. Ça m’amuse car l’an dernier, mon ancienne école-l’Institut Pratique de journalisme- d’où j’avais failli me faire virer, m’a demandé d’être leur invité d’honneur pour le diner annuel! Aujourd’hui, je représente une certaine diversité alors qu’avant on me prenait pour une espèce d’ovni; il y avait une approche un peu simpliste, un peu caricatural sur mon look. Il y avait pourtant une vraie attente de la part des téléspectateurs: que ceux qui sont à l’antenne puissent être comme eux. Sans compter que le plateau, les studios télé, ce n’est pas pour moi.
Comment avez vous réussi à convaincre un directeur de chaine de se lancer dans cette approche inédite?
Cela s’est fait progressivement. Au départ, il y a eu les deux documentaires pour Canal Plus dont « les supermarchés de la défonce » dans lesquels j’ai pris des risques. J’étais souvent en caméra cachée mais on m’entendait beaucoup parler. Bruno Gaston de France 4 a voulu me rencontrer et m’a demandé si j’avais une idée à lui proposer. On débutait par un gros plan puis ensuite j’interviewais le personnage en question. Ça a bien marché et France 2 m’a demandé de venir faire « Dans les yeux d’Olivier ».
Qui a trouvé ce très bon titre?
C’est France 2. Au début, ça m’a fait peur, je me suis dit je vais en prendre plein la gueule, je ne voulais pas que ce soit perçu comme quelque chose de prétentieux mais miracle, je n’en ai pas entendu du tout parler! Maintenant, c’est devenu « Dans les yeux », tout court quand les gens en parlent. J’ai réussi à créer une différence et que l’on ne m’impose rien, je travaille dans une grande liberté et ça c’est vraiment bien.
Vous gérez comment l’après, une fois que vous avez écouté ces histoires dont certaines sont vraiment « lourdes »?
J’ai déjà ramassé pas mal dans ma propre vie, avec deux missiles que la vie m’ a envoyés-terribles. Donc du coup, j’ai pas mal encaissé, c’était il y a une dizaine d’année. Je suis sorti autrement, en étant un autre mec après tout cela, donc je pense que je suis plus à l’aise, plus apte à écouter. Sans cela, je n’aurais sans doute pas les mêmes capacités que j’ai aujourd’hui.
Comment envisagez vous la suite?
Il y a déjà des choses prévues qui seront dans la continuité de ce que je fais déjà; il y aura sans doute une troisième saison, et après, on verra. Il reste encore des thématiques qui me tiennent à cœur, des choses qui m’interpellent. Les sujets, c’est moi qui les choisis, je suis curieux. Et puis j’aime les gens. Mais, la vérité, c’est qu’on passe toujours à coté de quelque chose, heureusement d’ailleurs, ça nous permet de recommencer. Dans mes interviews, j’ai sans doute l’instinct du silence mais pas sa maîtrise…
C’est alors que le silence s’installe. Un vrai beau silence partagé, apprécié entre deux personnes qui aiment poser les questions avec cet espoir à chaque fois renouvelé de recueillir une réponse-une vraie. Il se met alors lui même à poser des questions, intéressé comme le sont rarement les interviewés, qui selon les cas, demandent à relire ou plus rare, vous remercient après publication…
Par Laetitia Monsacré
Dans les yeux d’Olivier-« Accusés à tort » diffusé ce soir à 22heures sur France 2 puis tous les mercredis soir