« E’ stata la Culona » est le titre d’un quotidien italien, appartenant à la famille Berlusconi. « Culona », c’est à dire « gros derrière », est le terme utilisé par l’ex-président du conseil italien pour définir la chancelière allemande. Très chic. Un langage digne d’Oxford. L’expression « è stata la Culona » signifie que, selon Berlusconi, sa propre marginalisation politique de l’automne dernier serait le résultat d’un complot Made in Germany, voulu par Angela Merkel. La presse italienne de droite a utilisé les stéréotypes plus insultants pour faire du racisme anti-allemand. Comme si l’Allemand n’était pas un être humain comme les autres. Il serait en réalité un « porteur sain » du virus de la responsabilité nationale pour les crimes nazis. Voilà Berlusconi insulter il y a neuf ans, dans l’amphi du Parlement européen, le socialiste allemand Martin Schultz, en disant qu’il serait « parfait » pour tenir dans un film « le rôle du kapo » (le prisonnier juif chargé de surveiller les autres prisonniers dans un camp de concentration nazi). Nicolas Sarkozy a utilisé il y a plusieurs années des expressions dangereuses -bien que moins vulgaires- au sujet de l’Allemagne. Le 9 mars 2007 il disait a Caen : « Je voudrais rappeler à tous ceux qui critiquent tant la France, de l’intérieur comme parfois de l’extérieur, que la France est l’un des rares pays au monde à n’avoir jamais cédé à la tentation totalitaire. La France n’a jamais exterminé un peuple. La France n’a pas inventé la solution finale ».
Ressortir le passé
Quand les Allemands dérangent, on ressort du tiroir les allusions à leur horrible passé, comme si les Allemands eux-mêmes n’étaient pas parmi les victimes de ce chapitre de leur et de notre histoire.
Mais attention. Avec l’Allemagne on passe volontiers d’une exagération à une autre, totalement opposée. En recevant le 31 janvier à Paris à l’Assemblée nationale le prix de « Européen de l’année », décerné par le Trombinoscope, le président du conseil italien Mario Monti s’est dit fier d’être considéré comme « un Italo-Prussien » et comme « le plus allemand des économistes italiens ». Deux jours plus tôt seize millions de Français avaient assisté à la télé à l’exhibition d’enthousiasme pro-allemand , à la limite de la vénération de la part d’un Sarkozy, converti sur le chemin de Berlin. Un président français toujours prêt à indiquer aux compatriotes l’exemple d’outre-Rhin comme la quintessence de la raison et de l’efficacité. En suivant les interventions de bien de leaders Français, Italiens et Espagnols en cette période de crise, on a la sensation d’un tsunami d’admiration pour les solutions (toutes les solutions: celles qui sont certainement bonnes comme celles qu’on pourrait bien soumettre à une discussion critique) trouvées par Berlin dans le but de relancer l’économie nationale. Tout ça sans considérer le fait que certaines spécificités allemandes ne sont pas exportables (ou le sont avec beaucoup de difficulté). Une loi ad hoc, sollicitée par certains hommes politiques Français ou Italiens, ne suffirait certainement pas à créer ailleurs les conditions ayant permis en Allemagne l’expérience de la Mitbestimmung, la cogestion des entreprises. Ce n’est qu’un exemple pour dire que l’actuelle vague d’adulation vis-à-vis de l’Allemagne triomphante est terriblement naïve. Elle est autant intellectuellement rudimentaire que la vieille tentation de diaboliser les Allemands même si elle est heureusement moins dangereuse.
A leur tour les Allemands prouvent parfois la tentation de participer au jeu des « stéréotypes sans frontières ». Voilà l’hebdomadaire Der Spiegel qui se livre à une comparaison entre le bateau Italie et celui de Costa Croisières, sombré dans les eaux de l’Île du Giglio. De quoi user et abuser des stéréotypes et banalités diverses et variées… Reste qu’en Europe, nous sommes aujourd’hui tous sur le même bateau avec un intérêt commun: limiter le pouvoir de nuisance de tous les Schettino-le commandant du Costa- de la politique mais aussi du journalisme…