Qui prendra donc la responsabilité de « tuer » la soirée des Molières à quelques mois de la Présidentielle ? Risqué. Le patron de France Télévisions refuse d’être tenu responsable d’un éventuel fiasco et renvoie les adversaires de la profession dos à dos. Ira-il jusqu’au bout en laissant pourrir le conflit, en renonçant à une retransmission peu suivie par les téléspectateurs ? Ou veut-il sauver un évènement sévèrement brocardé pour son manque d’audace et d’audience, mais incontournable pour une chaine de service public chargée de populariser la culture ? Frédéric Mitterrand, le Ministre de la Culture se garde bien, de faire connaitre sa position…Dilemme : affronter la colère de Line Renaud et Claude Brasseur ou les critiques de Pierre Lescure et de Bernard Murat ? Désagréable, délicat et dangereux… Ne dit-on pas le Ministre déjà en train de penser à son prochain film et à sa nouvelle émission de télé, pour après?
En attendant l’oukase des puissants, ce n’est plus du théâtre, c’est la guerre sur les scènes parisiennes. Un conflit dévastateur pour l’image des gens de théâtre déchirés entre les « pros » et les « anti » Molières.
Pétition qui circule
D’un côté les » dissidents », une vingtaine de directeurs de salles privées, puissants et sans merci, « frustrés » de ne pas avoir été dans le passé primés, si l’on en croit l’entourage du Ministre de la Culture. De l’autre l’Académie qui regroupe les théâtres publics et une vingtaine de privés, quelques 1800 membres, autour d’une présidente Myriam Feune de Colombi, Directrice du Montparnasse, fatiguée d’être contestée. Hélas cela n’a rien d’une grande bataille d’Hernani ! C’est une guerre picrocholine, très parisienne, dont l’enjeu n’est pas seulement la retransmission par France 2 de la soirée de remise des statuettes le 1er avril prochain aux Folies Bergères; c’’est une partie de l’avenir du théâtre en France qui se joue!
De grandes figures de la scène ont signé la pétition qui a été adressé à Frédéric Mitterrand. Que dit l’appel ? Qu’il faut sauver les Molières ! « La cérémonie est la vitrine de notre profession et de notre travail. Tous les professionnels du théâtre, artistes, auteurs, metteurs en scène, techniciens, sont profondément attachés à ce qui est devenu au fil des années une institution, dont le seul but est de servir le théâtre et sa renommée. »
Les premiers signataires ? Geneviève Casile, Zabou Breitman, Isabelle Carré, Patrick Chesnais, Michel Duchaussoy,Myriam Boyer, Jean-Loup Dabadie, Claude Brasseur, Zabou Breitman, Isabelle Carré, Patrick Chesnais, Michel Duchaussoy, Anny Duperey, André Dussollier, Thierry Frémont, Michel Galabru et Line Renaud. Du beau monde. Line Renaud, par ailleurs grande animatrice avec Pierre Bergé du Sidaction qui a lieu justement le 1er avril… Myriam de Colombi et les Molières proposent ainsi à France Télévisions que, durant la soirée du théâtre, le montant des sommes collectées soit régulièrement annoncé. France Télévisions n’a pas encore répondu. Rémi Pflimlin, le Président de France Télévisions, demande d’abord aux théâtres ennemis de se réconcilier. En attendant, la décision de retransmettre ou non la soirée est suspendue. Dangereux, encore une fois, car le temps presse… « Les Molières appartiennent aux artistes. Personne n’a le droit de prendre en otage l’ensemble de la profession », s’indigne la Présidente des Molières dans une lettre adressée aux comédiens et que « The Pariser » a pu consulter. Elle propose un « rassemblement des forces, avec l’ensemble du secteur public, les directeurs de théâtres privés qui n’ont pas souhaité se retirer de l’association » et « dans l’espoir que les directeurs encore dissidents la rejoignent ». Myriam de Colombi joue son va tout.
Manœuvres et intoxications
Les rebelles sont plus que déterminés, eux, à crever l’abcès : ils se disent « consternés » par les appels de Myriam de Colombi. Ils affirment que cela les renforce « dans la conviction qu’il faut, effectivement, tourner la page des Molières, à la fois dans leur forme, et dans leur nouvelle organisation décidée par les actuels dirigeants ». Ils dénoncent « un climat détestable, fait de manœuvres et d’intoxications, comme s’il faillait à n’importe quel prix sauver les Molières 2012 ». En clair, ils veulent la chute du Conseil d’Administration des Molières et de sa Présidente, qui pourrait en retour citer le dramaturge et leur rappeler que « les langues ont toujours du venin à répandre »…
« Nous confirmons plus que jamais notre refus de participer à d’improbables Molières en 2012 et d’y présenter nos spectacles », affirment les mutins dans un texte remis au Pariser. De grands noms, là aussi : Pierre Lescure, ex Président des Molières – c’est sa démission qui a tout déclenché- et Directeur du théâtre de Marigny, Bernard Murat, Directeur du théâtre Édouard-VII, Jean-Pierre Bigard de la Comédie de Paris et du Palais des glaces, Jean-Claude Camus, Directeur du théâtre Saint-Martin et surtout Francis Nani. Le directeur du Palais-Royal mène le combat. Pour lui, la cérémonie doit être entièrement repensée, redevenir « une grande fête » donnant l’envie du théâtre au public le plus large. Comme « lorsque le spectacle était dans la salle autant que sur scène, lorsque les spectateurs applaudissaient Poiret ou Serrault ». « Aujourd’hui, la cérémonie est beaucoup trop longue, lâche-t-il aux journalistes. Il faudrait arrêter de la diffuser en direct, pour pouvoir couper au montage les discours qui emmerdent le monde. Et faire participer les spectateurs aux votes ! » Peut-être, mais sans direct, qu’est donc la télévision, où se retrouve l’émotion et la communion du public?
« Nous sommes conscients que les Molières doivent se moderniser », réplique de Colombi aux privés des tréteaux. « Nous comptons sur vous et sur votre soutien pour nous aider à faire progresser les Molières et à les pérenniser », leur dit-elle. C’est niet ! Le Fonds de soutien au théâtre privé a d’ailleurs annoncé qu’il retirait sa subvention de 50 000 euros à l’association des Molières. « Mais au nom de quoi priver cette année de Molières les gens de théâtre ? Et pourquoi ? Pour créer une soirée à seule destination des grandes salles privées ?, s’indigne encore la Présidente des Molières. « De qui se moque-t-on ? « lui répondent les « dissidents » qui exigent « que la raison reprenne le dessus et que l’on profite de 2012 pour marquer une pause salutaire » pour « se donner le temps de refonder vraiment une manifestation à la hauteur de ce que mérite le théâtre ».
Leur ambition, c’est de proposer « un événement culturel, moderne et festif, capable de redonner aux téléspectateurs le goût, l’envie, la curiosité de venir au théâtre, sans se cantonner dans le registre de la remise des prix et des discours convenus. » Pourtant l’an dernier, Laurent Lafitte avait insufflé du punch à la soirée. Rien à faire, le boycott des privés continue. Que diable ! Est-on incapable en France de trouver un grand réalisateur de télévision, un grand acteur et une illustre comédienne pour redonner du souffle aux Molières ? Faudra-t-il aller les chercher à Broadway ? Non, bien-sûr. Querelles et déchirements… Molière mérite mieux ! Hélas, me confie une amoureuse du théâtre désolée du gâchis, « les Molières ont trop d’ennemis : ceux qui n’ont jamais été nominés, ceux qui l’ont été mais n’ont pas eu la statuette, et ceux qui redoutent de ne jamais l’avoir »… Comme dirait Molière, le vrai, « tout le secret des armes ne consiste qu’en deux choses, à donner et à ne point recevoir. »