C’est l’entracte, et les quelques mélomanes réfractaires, qui préféreraient leur siège au bar, sont invités à quitter la salle, « pour raisons artistiques ». On le comprendra à la reprise du spectacle. L’orchestre a déserté la fosse pour un échafaudage aux allures de branchages au fond du plateau : toute l’invention de Christoph Waltz est condensée dans la mascarade nocturne censée donner une leçon au libidineux Falstaff. Tandis que les musiciens semblent jouer perchés dans les arbres de la forêt de Windsor, les personnages, d’abord enveloppés dans une combinaison blanche stérile, se découvrent finalement en tenue noire de concert, comme un clin d’oeil à l’illusion théâtrale, sous le signe de laquelle se place d’ailleurs cette nouvelle production du dernier opéra de Verdi proposée par l’Opéra des Flandres pour les fêtes de fin d’année. Ce finale spectaculaire, pour lequel on a vraisemblablement mobilisé l’essentiel des moyens, accentue par contraste la sagesse de la première partie de soirée : décor minimal de Dave Warren, où le mobilier de la taverne se transforme en salon bourgeois au gré des transformations à vue, lumières de Felice Ross qui évoquent les scènes d’intérieur de la peinture néerlandaise du dix-septième siècle, quand d’autres y reconnaissent l’artifice théâtral. Pour ménager l’effet, on n’a pas hésité à retarder au milieu du troisième acte la traditionnelle pause à la fin du deuxième, où l’on verse dans la Tamise la corbeille à linge, et Falstaff étouffant au fond, réduisant la seconde partie à une demi-heure à peine.
Le meilleur pour la fin
Remplaçant Thomas Johannes Mayer, initialement prévu dans le rôle-titre, Craig Colclough assume l’essentiel par une présence bouffonne, mais sans caricature. Jacquelyn Wagner réserve une Alice Ford vive, pleine de saveur avec son timbre léger et fruité. A son époux, Ford, revient sans doute l’incarnation qui domine la distribution : Johannes Martin Kränzle affirme une diction sans reproche, magnifiée par une ligne vocale noble et généreuse. Iris Vermillon résume à merveille une Quickly à l’allure de commère un peu virago. Julien Behr appuie un peu l’éclat de son Fenton, quand Michael Colvin campe un Cajus équilibré. Mentionnons encore la Meg honnête de Kai Rüütel. Quant à Nanette, toute en fraîcheur avec Anat Edri, elle puise, comme le Bardolfo de Denzil Delaere et le Pistola, moins débraillé, de Markus Suihkonen, dans le Jeune Ensemble de l’Opéra des Flandres. Outre les choeurs préparés par Jan Schweiger, on saluera la direction ciselée de Tomas Netopil, au diapason d’un spectacle soigné, quoique sans véritable folie.
Par Gilles Charlassier
Falstaff, à Anvers, jusqu’au 31 décembre, et à Gand du 10 au 20 janvier 2017