Il était beaucoup question du père Noël dans la salle de danse de la rue Chaptal ces derniers jours. Malgré son exigence par rapport à ses élèves, Monique Arabian n’oublie jamais qu’ils restent des enfants. Qu’elle peut arroser avec une bouteille d’eau gentiment ou rudoyer afin qu’ils sortent le meilleur d’eux-mêmes. Car en danse, il n’est point de demi-mesure, même en chaussettes ou chaussé de demi-pointes. « Beau, soyez beaux »; dans la danse, l’à peu près n’existe pas: le corps doit être placé, la jambe de terre bien arrimée afin de faire pirouettes et autres figures. Sinon c’est « Charlot », et les foudres toujours bienveillantes de cette ancienne danseuse étoile qui s’est consacré à l’enseignement à la faveur d’une blessure à 37 ans. L’occasion pour elle d‘ »avoir plein d’enfants », sans les couches ni avoir à chercher une baby sitter pour sortir; juste des élèves qu’elle voit éclore et suit jusqu’à bien souvent la scène de l’Opéra Garnier.
Car, cette femme toujours tirée à quatre épingles-un respect par rapport à soi-même et aux autres- « élève » littéralement ses petits rats vers l’excellence. L’Ecole de danse de l’Opéra de Paris ne s’y trompe pas avec cette année encore, après les examens en novembre dernier, cinq de ses protégés sur plus de mille prétendants admis en stage à Nanterre. Le début d’une carrière ou non, la motivation et le petit plus faisant la différenece. Un perroquet apprivoisé parmi tant d’autres oiseaux qui chantent dans la pièce, quatre petits chiens tapis derrière la porte, Madame Arabian comme l’appelle avec déférence ceux qui passent ici-enfants et parents, est prête à parler comme on entrerait en scène. Lever de rideau.
Comment la danse est -elle entrée dans votre vie?
J’avais une camarade très drôle lorsque j’habitais en Suisse qui m’a un jour proposé de l’accompagner à son cours de danse. J’avais neuf ans et j’y suis allée avec un horrible short vert et un tee-shirt de gym, je n’avais que cela. Au moment des battements, ma jambe s’est élevée au dessus de ma tête, j’étais très fière. Je suis rentrée ce soir-là à la maison en disant à mes parents que je voulais être danseuse. J’ai alors travaillé avec cette professeur pendant quatre mois. Puis, elle a dit à mes parents qu’étant donné mes possibilités, il fallait que j’aille ailleurs car elle ne pourrait pas faire de moi une grande danseuse. C’était très honnête de sa part. Elle m’a alors aiguillé vers un professeur russe qui était un grand artiste, avec des bras extraordinaires et une musicalité merveilleuse. C’est lui qui m’a entièrement formé.
Vos parents ont-ils toujours été d’accord pour cette carrière?
Oui, à condition que je passe mon bac d’abord afin que si ça ne marche pas, je puisse faire autre chose. A l’époque, j’étais sure que toutes les danseuses étaient passionnés comme moi, je venais toujours m’échauffer 3/ 4 d’heure avant la répétition lorsque les autres arrivaient au dernier moment. Je me souviens que pour ma première audition j’avais fait des fouettés en avançant de deux mètres, du coup j’étais certaine de ne pas être prise. Pourtant ça a marché dans ce ballet de Zurich où l’on m’a donné beaucoup d’occasions de danser car je savais tous les rôles vu que je regardais avec passion les autres danser, surtout les grands danseurs; lorsqu’il y avait une danseuse malade, c’est à moi qu’on demandait de la remplacer. Autant vous dire que dans la compagnie, on ne m’ aimait pas beaucoup…
Vous parlez de chance. A combien évaluez-vous la part de celle-ci dans une carrière de danseuse?
Il y a une partie importante dans la chance que l’on a de rencontrer les bonnes personnes. J’ai été l’ année de mon bac en stage dans une école à Cannes où la professeur m’a dit que j’étais le genre de danseuse qu’aimait Beriosov (qui arrivait aux ballets de Zurich). Là est la chance mais après il y a le travail. C’est tout le temps et pas toujours facile. Mais si vous avez la passion, vous êtes capable de ne faire que cela, jour après jour.
Il est vrai qu’on ne correspond pas toujours…
J’ai en effet fait plusieurs auditions que je pensais avoir réussies lorsque j’ai quitté le ballet de Zurich avant d’être prise à Charleroi. Le chorégraphe y a aimé ma façon de danser, avec cette idée que c’est un toujours un échange.
Vous êtes d’accord avec Noëlla Pontois qui dit qu’être danseuse est une vie de boxeur et de nonne?
C’est en effet un combat; il faut toujours être au top quand on arrive au sommet. C’est aussi une école de la vie, avec des restrictions, des voyages qui rendent difficile la vie privée. Noëlla est une merveilleuse danseuse, j’ai d’ailleurs eu sa petite fille Jade en élève avant qu’elle n’entre à l’Ecole de l’Opéra de Paris. Jamais lorsque j’étais jeune, je n’aurais pensé que je rencontrerai des danseuses comme cela. A Genève il n’y avait pas d’opéra, il avait brûlé; nous avions seulement une fois par an un ballet et je me souviens avoir pleuré la première fois que j’ai en ai vu un: je trouvais cela tellement beau.
Quel souvenir gardez vous de cet arrêt brutal à 37 ans…
Je me suis blessé alors que je dansais à Dijon la fée dans Casse Noisette avec Cyril Atanassoff. Je lui suis très reconnaissante car j’avais tellement mal aux genoux que je ne pouvais même plus faire l’appel; je l’avais prévenu et c’est lui qui m’a soulevé. J’ai eu deux opérations, des séances de kiné mais j’avais toujours mal. Je pense que c’était le destin car j’ai juste après rencontré Daniel Franck avec lequel je venais toujours m’échauffer en studio bien avant tout le monde. Il m’a alors demandé si je pouvais remplacer une de ses professeurs et je suis arrivée ici, dans ce studio de danse; c’était il y a plus de trente ans… C’était une vraie chance pour moi d’être dans cette grande école, d’avoir des élèves motivés, sachant qu’il faut s’occuper de tout le monde dans un cours. Chaque enfant a le droit d’être aidé.
C’est pourtant assez ingrat au tout début…
Les trois premiers mois sont en effet très durs mais cela va ensuite très vite; une fois que vous arrivez à passer ce cap, c’est merveilleux. Ce que vous leur donnez, les enfants vous le rendent au centuple. Je peux leur demander à près tout ce que je veux: ils vont me le faire. La danse est aussi une très bonne façon de vaincre sa timidité; j’étais moi-même une enfant très timide mais en danse, je ne l’ai jamais été. C ‘est là où je suis moi-même. On vit tellement intensement sur scène.
De cette époque, il reste des photos au hasard des murs de la mezzanine où se serrent les parents qui attendent leur progéniture. Là on doit se taire et regarder comment la passion de danser peut se transformer en celle d’enseigner. Monique Arabian corrige, vêtue de noir au milieu des justaucorps roses ou gris pour « ses » garçons, fidèle au poste même pendant les vacances, à guetter et espérer le geste parfait. Lequel pour certains, s’accompagne de ce que l’on nomme la présence, de celle qui dans vingt ans fera d’eux une étoile, objet de tous les regards. Et qui donne cette impression d’évidence alors que tant de sueur aura été laissée aux barres de ce studio, le premier avant tant d’ autres.